La transition alimentaire est un terme désormais connu de tous. Cependant, peu de gens savent qu’à chaque bouleversement de notre histoire correspond une phase de transition alimentaire. La première transition alimentaire eut lieu il y a 400 000 ans lorsque nos ancêtres commencèrent à cuire leur nourriture. La deuxième marque la sédentarisation d’homo sapiens il y a 12 000 ans grâce à l’agriculture. Avant cette période, homo sapiens était nomade et chasseur-cueilleur.
On considère aujourd’hui que nous vivons notre 5ème transition alimentaire. Le triste échec de la révolution verte (industrialisation et intensification de la production afin d’accroître les rendements) démontre l’incapacité de produire en masse de la nourriture à la fois saine et soutenable. Ainsi, l’humanité se retrouve face à de sérieux enjeux. Comment nourrir une population vieillissante et croissante, tandis que les ressources se raréfient et que les maladies de civilisation ravagent les pays industrialisés ?
Article mis à jour le 16/10/2023.
Qu’est-ce que la transition alimentaire ?
Un modèle nutritionnel
A l’origine, la transition alimentaire est un modèle nutritionnel développé par des nutritionnistes dans les années 90. Ce modèle comporte 3 phases :
- Fin progressive de la famine grâce à la lutte contre la pauvreté. La conséquence en est l’augmentation de la consommation de blé et de riz dont les rendements sont supérieurs aux autres végétaux ;
- Augmentation de la consommation de sucre raffiné, de protéines carnées et diminution de l’activité physique. Ce phénomène conduit alors à l’émergence de maladies métaboliques (diabète, hypertension) et de l’obésité ;
- Inversion des tendances de la phase 2 et retour à la consommation de céréales plus diversifiées, augmentation de la part de protéines végétales. C’est l’ultime phase et la destination finale de la transition.
Un modèle de production alimentaire
Dans son sens étendu, la transition alimentaire désigne également le processus par lequel une société modifie sa manière de produire et de consommer de la nourriture afin de répondre à des enjeux environnementaux, nutritionnels, éthiques et sociaux.
Ce processus repose sur 3 piliers :
- la santé, par la garantie d’une alimentation saine et suffisante pour tous les humains ;
- le développement socio-économique, par la création d’emplois, notamment dans les régions rurales ;
- l’environnement, par la préservation des ressources naturelles (sols et eau), de la biodiversité et du climat.
Quels sont les enjeux de la transition alimentaire ?
L’agriculture et la foresterie seraient responsables de 44% des émissions de gaz à effet de serre selon un rapport de la FAO. En parallèle, le recours massif à la monoculture serait l’une des causes du déclin de la biodiversité. Il devient donc urgent de revoir nos modes de production alimentaire… mais quels sont les objectifs visés, au juste ?
1. Réduire la faim dans le monde
Après des décennies de recul, la famine progresse depuis 2014, notamment à cause de conflits politiques armés, de phénomènes climatiques ravageant les récoltes et de crises économiques successives.
La FAO considère que 2 milliards d’humains sont régulièrement confrontés à des difficultés à s’alimenter correctement. En parallèle, l’OMS comptait près de 650 millions d’adultes souffrant d’obésité en 2016.
Ces chiffres sont en partie le résultat de problèmes inhérents au système agricole industriel mondial. Ce dernier concentre le pouvoir et les richesses entre les mains d’une poignée d’acteurs. Écrasées par un marché mondialisé et par l’agro-industrie (machines et pétrochimie à gogo), les petites fermes familiales sont poussées à la faillite. Dans le monde, ce sont ainsi les paysans qui souffrent le plus de la malnutrition.
2. Améliorer la qualité nutritionnelle des aliments
On se souvient certainement de l’émission CASH Investigation qui avait enquêté sur la perte de nutriments des aliments. Après avoir comparé les tables CIQUAL de nombreux fruits et légumes, le reportage constate qu’ « en 60 ans, les 70 fruits et légumes les plus consommés par les Français, ont perdu en moyenne 16% de leur calcium, 27% de leur vitamine C et 48% de leur fer ».
Comment ? Plusieurs hypothèses, notamment le recours massif aux produits chimiques à tous les stades de production et d’approvisionnement des aliments. Tous les moyens sont bons pour produire un maximum tout en maintenant les coûts de production au plus bas. Récoltés trop tôt pour être distribués aux quatre coins du monde, les végétaux ne développent qu’une partie de leurs nutriments.
Une autre hypothèse est formulée dans une étude du Lancet Planetary Health. L’augmentation du CO2 dans l’atmosphère, associée au changement climatique, serait responsable de la réduction en nutriments (protéines, fer, zinc) de nombreuses cultures de céréales.
En parallèle, le marché des compléments alimentaires est en plein boom.
3. Réduire le gaspillage alimentaire
Comme nous l’évoquions dans l’article Comment réduire son empreinte carbone (en mangeant), nous gaspillons 10 millions de tonnes de nourriture chaque année, et rien qu’en France ! Le site du Ministère de la Transition Écologique nous éclaire sur la répartition des pertes au cours du cycle production-consommation :
- 32% de nourriture est perdue en phase de production ;
- 21% en phase de transformation ;
- 14% au cours de la distribution ;
- 33% en phase de consommation.
Après avoir acheté la nourriture, chaque Français jette en moyenne près de 30 kg par an. Et 7 kg partent directement à la poubelle encore emballés. La logique visant à rationaliser les coûts de production à tout prix n’a guère de sens dans un monde qui produit et gaspille autant à la fois.
La France a fait un petit pas en promulguant une loi contre le gaspillage alimentaire en 2016. Au programme : “Prévention du gaspillage, utilisation des invendus par le don ou la transformation, valorisation destinée à l’alimentation animale, utilisation à des fins de compost pour l’agriculture ou la valorisation énergétique par méthanisation”.
4. Augmenter la variété des aliments consommés et s’adapter aux spécificités locales.
En 2018, l’ONG Agronomes et Vétérinaires Sans Frontières nous mettait déjà en garde contre la perte de biodiversité. En effet, 75% de ce que nous mangeons est constitué de seulement 5 espèces animales et 12 plantes.
« Se concentrer sur quelques espèces ou variétés a permis à l’agriculture productiviste et industrielle d’augmenter les quantités de nourriture produites, mais nous y avons tous perdu : les consommateurs, en qualité et en diversité, et les paysans, en faculté d’adaptation et en indépendance. […] L’existence d’une immense diversité de ressources aux caractéristiques diverses, cette biodiversité recomposée et préservée, ce sont les conditions concrètes de notre sécurité alimentaire et nutritionnelle à tous et de l’équilibre des écosystèmes ».
Frédéric Apollin, directeur général d’AVSF.
Cette uniformisation à outrance de notre alimentation a donc des conséquences écologiques et sociales, mais aussi nutritionnelles. La prédominance de seulement 3 céréales (blé, maïs et riz) et une consommation excessive de sucre raffiné pourraient expliquer l’explosion des cas de diabète de type 2 dans les pays industrialisés. Cette tendance s’observe aussi dans les pays en voie d’industrialisation, qui suivent les modes alimentaires occidentaux – fast-foods, boissons sucrées, snacking intempestif. Désormais, plus de la moitié des diabétiques dans le monde résident en Asie du Sud-Est et dans les pays du pacifique.
#WorldHealthDay: 422 million people have #diabetes 🌏
A growing problem, but we can beat it https://t.co/o6WaIrBtnh pic.twitter.com/2FkYgyGSm3— World Health Organization (WHO) (@WHO) April 6, 2016
Voilà de quoi encourager à diversifier le contenu de son assiette, tout en soutenant les quelques producteurs locaux qui continuent à produire des aliments oubliés.
5. Lutter contre l’épuisement des ressources en abandonnant les procédés agricoles néfastes pour la planète
Sur terre
La richesse des sols d’autrefois a laissé place à des terres asséchées, acidifiées et incapables d’assurer un rendement suffisant. Les ingénieurs agronomes Claude et Lydia Bourguignon tentent de diffuser leur analyse du problème depuis des décennies. Leur conclusion : l’agriculture conventionnelle appauvrit les sols par le labour intempestif et le recours aux produits phytosanitaires. Selon des estimations de la FAO, sans de nouvelles approches agricoles, le total des terres arables et productives dans le monde en 2050 ne représentera que le quart de leur niveau de 1960. Sans compter l’épuisement des réserves d’eau douce, dont 70% d’entre elles sont pompées – et polluées – par l’agriculture.
Par ailleurs, la déforestation continue de défigurer les territoires, notamment pour produire des monocultures céréalières qui serviront à nourrir le bétail d’élevages conventionnels.
En mer
En mer, le constat n’est guère plus réjouissant. Le chalutage de fond racle les sols marins, emprisonnant des centaines d’espèces (la plupart non consommées) dans de gigantesques filets. Cette technique contribue à libérer le carbone jusque-là emprisonné dans les profondeurs.
Nous devons intégralement repenser les modèles de pêche et de production agricole. De nouvelles approches émergent : agroécologie, permaculture, agriculture de restauration des sols… Malgré leurs différences, elles ont en commun l’objectif de préserver les écosystèmes. Tout en garantissant un rendement suffisant et une qualité nutritionnelle optimale ! Reste maintenant à accompagner financièrement la transition des agriculteurs et éleveurs vers ces nouveaux modes de production. Déjà endettés par les investissements imposés (machines, pratiques sanitaires) par un cadre législatif dépassé, ils ne pourront endosser seuls le coût du changement.
Alors, que faire ?
A une plus petite échelle, la permaculture présente des avantages ! Tu peux démarrer ton potager sur des petites surfaces, et ainsi produire toi-même une partie de ce que tu manges. Et si tu n’as pas de jardin, tu dois pouvoir trouver des potagers urbains. Pourquoi ne pas proposer à ton voisin d’utiliser une partie de son jardin ?
6. Améliorer les revenus des agriculteurs et assurer l’autonomie alimentaire des petits producteurs
Des pêcheurs africains sont contraints de pêcher toujours plus loin, parfois en haute mer sur leurs petits bateaux traditionnels. Les ressources des côtes Sénégalaises sont pillées ; le poisson qui assurait autrefois leur subsistance se retrouve désormais dans les assiettes des Européens.
En Europe, un nombre toujours croissant d’agriculteurs plonge dans la misère. Incapables de rentabiliser les machines qu’ils sont contraints à financer pour être en conformité avec les directives de la PAC, les agriculteurs sont les plus touchés par le suicide.
Quelles sont les solutions à notre échelle ?
Lorsque ceux-là mêmes qui nous nourrissent ne parviennent plus à vivre décemment, le problème est sérieux. Comment les aider ?
Concernant la surpêche, l’action la plus efficace réside dans la sobriété de la consommation, ainsi que dans le choix d’espèces pêchées sur nos côtes. Il y a encore 20 ans, nous ne mangions du saumon qu’en période de fêtes de fin d’année.
Pour améliorer les revenus des agriculteurs… des idées émergent. En premier lieu, il faudrait redéfinir la PAC. Cette dernière indemnise aujourd’hui les agriculteurs en fonction des surfaces cultivées et non selon la qualité nutritionnelle de leurs produits. En ce qui nous concerne, nous devons privilégier les circuits courts et acheter directement chez le producteur/l’éleveur. Ils gagneront de meilleurs revenus en se débarrassant des intermédiaires qui prélèvent leur part à chaque étape de la chaîne.
La transition alimentaire : un des plus gros défis de notre temps
Comme nous l’avons décrit plus haut, l’industrialisation de masse de la production alimentaire pose de nombreux problèmes. Afin de nourrir correctement une population en constante augmentation, l’humanité se retrouve au défi de penser les moyens, à la fois techniques et sociaux, de produire mieux.
De nombreuses hypothèses de travail sont proposées, parfois opposées dans leur approche. Toutefois, face à l’ampleur du défi, les changements individuels risquent de ne pas suffire. Nos sociétés modernes doivent à tout prix raisonner en termes de souveraineté alimentaire et de terroir. L’évolution des consciences doit s’accompagner d’un cadre législatif.
Cantines scolaires bio, lundi sans viande, lois contre le gaspillage alimentaire… c’est un bon début de transition alimentaire ! Les États devront cependant mettre en place les politiques agricoles plus efficaces pour leurs territoires et leurs populations.
Du coup, quand est-ce qu’on change pour de bon ?
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Crédit photo de couverture : Leon Ephraïm sur Unsplash
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