Y a-t-il une manière éthique de manger de la viande ? [Dossier – 1/3]

par | 3 Fév 2022 | Bien-être animal, Éthique & Environnement | 0 commentaires

14 min de lecture

Cristelle de GoodSesame
Cristelle de GoodSesame
Content Designer et responsable éditoriale chez GoodSesame

Nous mangeons de la chair animale (viande et poisson) à la fois par habitude culturelle et par goût. Certain·e·s affirment que nos goûts forgent nos habitudes… peut-être ! Mais ce qui est plus évident, c’est que l’acte même de manger de la viande a quelque chose de très personnel : il relève de l’action intime de nourrir notre corps. Quand on mange, on se fait du bien et on prend soin de soi : de nos sens, mais aussi de notre santé. Manger de la viande implique nécessairement la mort de l’animal. Mais tuer, c’est mal, non ? Faut-il devenir vegan pour prendre soin de son ventre de manière éthique ?

Pour tenter de répondre à cette question qui déchaine les passions, essayons de pousser un peu la réflexion. Le but de cet article n’est pas de te dire quoi faire ni quoi penser, mais plutôt de questionner tes certitudes pour qu’au final, tu sois certain·e de tes choix. Attention ! Prépare-toi à trouver des justifications à la mise à mort, à envisager des morts acceptables, et peut-être même à cautionner la souffrance. Et dis-moi, serais-tu prêt·e à manger une viande de synthèse à partir de cellules humaines ? Impossible ? Voyons ça !

Au menu de cet article :

  1. C’est quoi l’éthique ?
  2. La vie, la mort : parallèles entre l’éthique et le droit
  3. Tu ne tueras point : la mort, un mal en soi ?
  4. Devenir vegan pour mettre fin à la souffrance animale ?
  5. Pourquoi devenir vegan ? La viande sans souffrance est arrivée

Deuxième partie de ce dossier : Doit-on manger moins de viande quand on se soucie de notre planète ?

C’est quoi l’éthique ?

Avant toute chose, il est nécessaire de définir l’éthique.

[SPOILER ALERT] Paragraphe philo-nerd en approche [/SPOILER ALERT]

Dérivée du grec ethos signifiant « mœurs » ou “manière de vivre”, l’éthique est une branche de la philosophie qui s’intéresse à nos comportements en société. Plus précisément, elle s’attache à distinguer ce qui est moralement bien ou mal, juste ou injuste. Dans une réflexion dont le but est de déterminer quelle est la bonne conduite à tenir, l’éthique cherche à orienter nos actions afin d’agir conformément à nos principes moraux. Elle est particulièrement utile comme outil pour nous aider à résoudre des dilemmes éthiques, du type :

  • Le médecin de ma mère lui diagnostique un cancer terminal. Puisqu’elle est dépressive depuis quelques années, il craint que cette nouvelle ne l’anéantisse. Son devoir de l’informer entre en conflit avec celui de ne pas détruire le peu d’espoir qu’elle a encore. Doit-il l’informer sur son état ou le lui cacher ?
  • Je suis enceinte d’un bébé qui présente des malformations congénitales sévères. Dois-je avorter pour lui éviter de terribles souffrances, ou lui permettre de vivre, même si je sais que sa mort est d’ores et déjà programmée ?

La vie, la mort : parallèles entre l’éthique et le droit

Certaines vies ont plus de valeur que d’autres

Il existe un impératif commun à de nombreuses croyances : ne pas tuer. C’est par ailleurs inscrit dans le droit positif dans la majorité des pays ; tuer un être humain est un crime qui peut exposer l’individu à des peines maximales.

Le droit positif concerne toutes les lois et les règles en vigueur, à un endroit et à un moment donnés.

Il s’oppose au droit naturel, très prisé des philosophes, qui qualifie tous les droits qu’a un individu par nature, c’est-à-dire dès la naissance.

Le droit positif repose bien souvent sur des considérations éthiques pour assurer la coexistence pacifique des individus. C’est pour cette raison qu’il choisit en France d’accorder un statut différent aux êtres vivants.

« Une vie peut avoir plus de valeur qu’une autre. Cette idée choque, car le prix de la vie est souvent confondu avec la valeur morale intrinsèque des vies. Pourtant, ce sont deux choses distinctes. »
Ariel Colonomos, politiste, dans Un prix à la vie: Le défi politique de la juste mesure.

Les mises à mort légales

Dans les faits, l’homicide est toléré dans de nombreux cas : la légitime défense, la guerre, l’IVG – ce dernier exemple étant plus délicat, en raison notamment de la nature biologique d’un fœtus et du statut juridique qu’on lui accorde. Peut-on étendre cette réflexion aux autres êtres vivants ?

Dans le droit français, l’animal domestique a le statut de bien-meuble, sans lequel toute exploitation animale serait illégale. Plus précisément, un chien, une vache ou un cheval appartiennent à son propriétaire humain, lequel peut en disposer librement – du moment qu’il ne sort pas du cadre de la loi.

Il est donc parfaitement légal de tuer des animaux dans les abattoirs ou à la chasse. Pourquoi ? Car ces animaux sont destinés, dès la naissance, à mourir pour répondre à nos besoins. On considère qu’ils sont « faits pour ça ».

Des devoirs envers les animaux ?

Le droit français encadre un minimum nos devoirs à l’égard des animaux. Mais seulement dans certains cas spécifiques : il est notamment interdit de tuer l’animal de compagnie de son voisin ou des espèces protégées. Toutefois, ne soyons pas naïfs ! Nous n’avons pas de devoirs envers les animaux à proprement parler.

Dans le premier exemple cité plus haut, nous avons des devoirs envers les propriétaires de ces animaux. Quand la loi nous interdit de tuer Mimoune, l’angora du voisin de palier, elle tente véritablement de protéger la propriété (le chat) du voisin.

Chasseur vegan : il fait sa fête à la courgette !

Chasseur vegan : il fait sa fête à la courgette ! Crédit photo : KnowYourMeme

Lorsque la loi nous interdit de tuer des espèces protégées, elle nous empêche de causer un préjudice à un bien commun : la nature. Le droit se fiche de protéger l’individu, il protège l’espèce tout entière. L’animal n’a aucun droit en tant que membre individuel de son espèce.

Faut-il devenir vegan et militer pour les droits des animaux ?

La plupart d’entre nous semble considérer que tuer un animal pour manger sa viande n’est pas un problème éthique. Mais pourquoi, alors, est-ce que la mise à mort d’un animal pour se nourrir en chiffonne certain·e·s ? Précisément parce que l’animal n’est jamais considéré comme un individu à part entière, avec ses propres besoins et ses propres intérêts.

Pour certains penseurs comme Peter Singer, seul l’individu compte, peu importe l’espèce à laquelle il appartient. Dans son livre La libération animale, il affirme qu’il est contraire à l’éthique de refuser aux animaux non-humains les privilèges que nous nous octroyons.

« Je soutiens qu’il ne peut y avoir aucune raison — hormis le désir égoïste de préserver les privilèges du groupe exploiteur — de refuser d’étendre le principe fondamental d’égalité de considération des intérêts aux membres des autres espèces. »
Peter Singer, La Libération animale.

La conséquence pratique de cette conception morale : la fin imminente des élevages, des abattoirs, mais aussi de la chasse et de la pêche. Adieu nuggets, œufs au plat et pulls en mohair. Mais alors, si c’est bien le droit à la vie de l’animal qu’on défend… Comment expliquer la différence idéologique entre le veganisme et le végétarisme ? Pourquoi ce dernier refuse-t-il uniquement de tuer l’animal ? Est-ce, dans ce cas, l’acte de mise à mort de l’animal qui devient contraire à l’éthique ?

Tu ne tueras point : la mort, un mal en soi ?

Qui n’a pas peur de la mort ? Plus précisément, qui n’a pas peur de sa propre mort, ou de celle d’un·e proche ? Cette peur irrationnelle devrait pourtant disparaître face à l’évidence : la mort est cette ultime et nécessaire étape de la vie. Il est donc assez insensé de faire le raccourci « la mort, c’est mal ».

Ok, mais si la mort n’est ni accidentelle, ni désirée, elle est imposée à nous. De manière générale, on n’a pas trop envie de se faire tuer. Par conséquent, on peut difficilement imaginer une société stable et pérenne où chacun·e aurait la crainte de mourir à chaque instant de la journée.

Les religions et les normes structurant nos sociétés accordent une valeur illimitée à la vie humaine. C'est un postulat nécessaire à la vie en société. Cliquez pour tweeter

Certains défenseurs des droits des animaux (comme Peter Singer) envisagent d’appliquer ce postulat à tout être vivant sensible. Non pas pour maintenir la cohésion des sociétés de biches ou de merles, mais plutôt car leur réflexion intègre un processus contemporain de sacralisation de l’individu : de sa vie, à sa mort. Faire le choix de devenir vegan, c’est déclarer la toute puissance de l’individu sur l’espèce.

En effet, l’émergence du capitalisme mondialisé semble avoir fait éclater le sens du collectif. L’individu prime : la valeur d’une vie – et celle d’une mort, par extension – n’est-elle pas seulement le produit de notre époque ? N’existe-t-il pourtant pas des cas de figure où tuer est l’option la plus morale possible ?

Des mises à mort légitimes : manger de la viande pour survivre

Celui ou celle qui rencontre un renard grièvement blessé sur le bord de la mort peut vouloir abréger ses souffrances. Dans ce cas de figure précis, donner la mort serait considéré comme l’expression d’un sentiment de compassion profond. Ah, mais ça n’a rien à voir, me diras-tu ! C’était un accident, le conducteur de la voiture n’a pas intentionnellement blessé le renard. Alors que les poulets de batterie souffrent de leur conditionnement dans des élevages autorisés par la loi. Manger de la viande de poulet n’est donc pas éthique.

Certes, mais l’intention n’est pas une justification suffisante pour déterminer dans quel cas de figure l’acte de tuer est éthique et dans quel autre cas il ne l’est pas. Comment penser que le pêcheur camerounais, pour lequel la pêche est une condition de survie, n’est pas éthique ? Il avait pourtant l’intention de tuer le poisson. Doit-on quand même lui demander de devenir vegan ? Là encore, donner la mort à un poisson n’est pas un problème éthique. Manger de la viande quand on n’a pas le choix est une justification suffisante à la mise à mort.

Tuer n’est donc pas un problème en soi. D’ailleurs, pour certains éleveurs, ce qui compte c’est la dignité qu’on accorde à l’animal durant sa vie :

« Pour la majorité des éleveurs, la mise à mort des animaux n’est pas le but, mais un effet dérivé de la relation […] il existe aujourd’hui un mouvement d’éleveurs qui entrent en résistance. Ils ne veulent plus conduire leurs animaux à l’abattoir, vu les conditions déplorables qui leur sont faites là-bas. Alors même que la loi le leur interdit, ils décident d’abattre eux-mêmes leurs bêtes, à la ferme. Ils risquent six mois d’emprisonnement, 15 000 euros d’amende, la suspension des aides… Mais ils le font quand même pour des raisons morales. » [1]
Jocelyne Porcher, ancienne éleveuse et zootechnicienne

Devenir vegan pour mettre fin à la souffrance animale ?

En tant que créatures empathiques, nous sommes sensibles à la souffrance des autres. Et la capacité des animaux à ressentir la souffrance d’une manière similaire à la nôtre n’est plus scientifiquement contestable. C’est parce que les animaux ressentent la douleur et le plaisir qu’on peut les intégrer à une réflexion morale. Dans le cadre de cette réflexion, l’animal est l’objet de l’acte moral. Par opposition, nous sommes les sujets moraux de cette réflexion car nous sommes responsables de nos actes intentionnels.

Mais qu’est-ce qui fait tant souffrir les animaux avant qu’on ne les mange ? Chaque étape de l’élevage industriel est source de souffrance : dès la naissance, avec la castration à vif ou la séparation des petits de leur mère, puis durant la croissance accélérée pour augmenter les profits, ensuite lors de longs et pénibles transports (mortels pour certains des animaux) et enfin l’abattage. Plus personne n’ignore les nombreuses alertes d’associations comme L214. Leurs nombreuses infiltrations dans des abattoirs ont mis au jour de cruelles pratiques et infractions à la législation.

Photos de porcelets courant en plein air.

Une belle image d’Épinal : l’élevage porcin en plein air représente moins de 5% en France. Photo : Jonathan Cooper sur Unsplash

Toutefois, les appels à l’évolution de la législation peuvent sembler vains. Les colosses du secteur agroalimentaire n’ont aucun intérêt financier à améliorer leurs méthodes et à les rendre plus transparentes. Pour les défenseurs de la cause animale, manger de la viande nous rend involontairement complices de cette souffrance. Et si nous mettons un point d’honneur à éviter de faire souffrir autrui, il n’y aucune raison de ne pas étendre cette considération aux animaux. Parce que nous sommes des sujets moraux, ce privilège est nécessairement accompagné de responsabilités envers l’objet de la morale – animal, enfant, ou tout autre individu auquel on reconnaît l’incapacité d’assumer la responsabilité de ses actes.

Une démarche éthique devrait donc nous conduire à refuser toute pratique qui cause de la souffrance à ces derniers. Pour manger de manière éthique, avons-nous comme unique solution de devenir vegan ?

Pourqoi devenir vegan ? La viande sans souffrance est arrivée

Depuis décembre 2020, Singapour autorise le commerce de viande élaborée à partir de cellules animales. C’est le premier pays à avoir franchi le pas de la viande artificielle, créée par une startup américaine à partir de poulet. Cette solution présente de nombreux avantages au problème éthique posé par la consommation de viande traditionnelle. Les cellules sont prélevées sur des poulets vivants par un processus indolore, puis sont cultivées en laboratoire, évitant ainsi toute la souffrance causée par l’élevage, le transport et l’abattage.

Nous n’avons pas eu l’occasion de goûter ces nuggets de labo, donc nous ne pouvons garantir qu’ils aient le même goût que des nuggets de poulet traditionnels. Et question prix… pour l’instant, ces viandes artificielles restent bien plus chères que la chair animale. Ce serait quand même dommage si seulement les plus riches d’entre nous pouvaient s’offrir une conscience morale !

Par ailleurs, les autorités sanitaires de Singapour ont testé et validé ce produit, mais ça ne suffit pas pour démontrer son innocuité sur le long terme. Enfin, on est en droit de se poser une question plus politique : nous critiquons les élevages industriels à grande échelle dont les pratiques ne sont motivées que par le profit… mais acceptons-nous de transférer leur pouvoir à des multinationales de la tech ? Avec quelles conséquences sur la souveraineté alimentaire ?

« Le vrai problème, au fond, c’est le problème politique des élevages industriels et non celui, pseudo-éthique, de la consommation de viande. Être végane sans être hostile à l’hypercapitalisme actuel n’a pas grand sens. »
Dominique Lestel, philosophe, dans un entretien pour Philosophie Magazine.

Pour résumer : la viande artificielle de laboratoire est la parfaite solution pour mettre fin à la souffrance animale. Donc, si nous partons de ce principe, il pourrait être parfaitement éthique de manger de la viande créée en laboratoire à partir… de cellules humaines, n’est-ce pas ?

Je te laisse répondre à cette dernière question… pour l’instant ! Une suite est prévue à cet article, où nous aborderons la question « Y a-t-il une manière éthique de manger de la viande ? » sous l’angle de l’éthique environnementale. En attendant de devenir vegan, pourquoi ne pas découvrir nos recettes sans viande ?

Si l'envie te prend de rejoindre la discussion, viens nous dire hello sur Discord et sur nos groupes Facebook privés : Santé et Nutrition, Environnement, Cuisine et Éthique et bien-être animal.

Suis-nous

Retrouve-nous sur les réseaux sociaux

Newsletter

Abonne-toi : 0% de spam et 100% de tendances !

 


  1. Philosophie Magazine, Numéro 117 – Mars 2018

Crédit photo de couverture : LikeMeat sur Unsplash

Cet article t'a plu ? Parles-en autour de toi !

0 commentaires

Soumettre un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée.